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La détermination des pays de Balkans comme pays d’origine sûrs est directement liée à la libéralisation des visas vis-à-vis de ces pays[7] et au souhait des autorités européennes[8] et nationales[9] de limiter la venue de ceux qu’ils qualifient de « faux » demandeurs d’asile, à savoir essentiellement les personnes d'origine Rom. La Commission souligne en effet que « Le faible degré d’intégration des communautés locales, surtout d’origine rom, reste un important facteur de motivation pour la grande majorité des «faux» demandeurs d’asile. Les principales raisons de leur départ demeurent économiques, et s’expliquent par les avantages financiers qu’ils associent à une demande d’asile dans certains États membres de  l’Union ».

Ces positions politiques et institutionnelles interpellent. D’une part parler de « faux » demandeur d’asile est absurde. On est demandeur d’asile ou on ne l’est pas. Il n’y a pas de « faux » demandeur d’asile mais éventuellement des demandes d’asile qui sont rejetées. Ensuite, donner à penser que les populations Rom ne pourraient obtenir la protection en tant que réfugié est totalement erroné sur le plan du droit de l’asile et renforce la stigmatisation des personnes concernées. Ainsi, la persécution dans le cadre de l’asile peut consister en une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment graves pour affecter un individu d’une manière à constituer une violation grave des droits fondamentaux[10], les droits économiques et sociaux n’étant nullement exclus. En outre, tant les rapports d’ONG que les condamnations à Strasbourg témoignent des exactions graves et répétées (violences policières, crimes xénophobes, ségrégation, privation de logement décent, d’accès aux soins de santé, à l'emploi et à l’enseignement, etc.) dont sont victimes des Roms à travers l’Europe[11]. Des Roms originaires de certains de ces pays se voient dès lors régulièrement reconnaître en Belgique la qualité de réfugié[12].

Il n’en est pas moins certain que la liste des pays sûrs est un obstacle majeur et injuste pour des Roms ayant vécu l’accumulation de persécutions et d’exactions, et donc particulièrement vulnérables, qui seront peu à même d’affronter les contraintes d’une interview en procédure accélérée. La précarité ainsi créée pour ces réfugiés, qui perdent leur droit à l’accueil dès le premier refus, rend beaucoup plus difficile également en pratique l’introduction de recours devant la juridiction d’appel.

En se basant sur le pourcentage de reconnaissance de réfugiés d’origine albanaise et kosovare, l’auditeure du Conseil d’Etat amenée à rendre un avis sur le recours en suspension introduit par les ONG contre la liste, estimait que le moyen pris de « ne pas avoir correctement appliqué l’article 57/6/1 (…) en inscrivant le Kosovo et l’Albanie sur la liste (…) » est un moyen sérieux[13]. Il est aussi choquant de constater que la Belgique a intégré l’Albanie et la Kosovo sur sa liste, quoique ce deux pays ont été supprimés de la liste française, eu égard notamment aux violences auxquelles sont exposées certaines catégories de leur population[14]. Le recours en suspension vient toutefois d’être rejeté à défaut de préjudice grave et difficilement réparable[15]. Alors que le recours en annulation reste pendant, un arrêté royal publié dès le lendemain de l’arrêt réitère une nouvelle liste identique à la première[16]...




[7] Depuis le 19 décembre 2009, les citoyens de Macédoine, Monténégro et Serbie disposant d’un passeport biométrique, peuvent se rendre sans visa dans les Etats de l’Union européenne, sur base du règlement 539/2001. Les citoyens d’Albanie et de Bosnie-Herzégovine bénéficient de ce droit aux mêmes conditions depuis le 15 décembre 2010. Voyez également le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil Troisième rapport de suivi de la libéralisation du régime des visas concernant les pays des Balkans occidentaux conformément à la déclaration de la Commission du 8 novembre 2010, Bruxelles, le 28.8.2012, COM(2012) 472 final, p. 16.

[8]Voyez le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil, op. cit.

[9] On se rappellera que  les secrétaires d’Etat successifs à l’asile et l’immigration, M. Wathelet, et Mme De Block, s’étaient rendus en Serbie afin de sensibiliser les autorités à la prévention de l’immigration illégale et aux demandes d’asile abusives. Voyez C. Vallet, « Demandeurs d’asile Roms : la Serbie sous pression », in Alter échos, Roms de Serbie : le jeu dangereux de la Belgique, N° 357, 29 mars 2013,  p. 6.

[10] Art. 9.1.b., directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte).

[11] Voyez V. Van Der Plancke, « Les Roms et Gens du voyage au sein du Conseil de l’Europe : une attention réellement soutenue, des changements réels attendus », in Les Roms face au droit en Belgique, FUNDP, La Charte, 2012, p. 65 et s.

[12] Selon les statistiques du CGRA, en 2012, sur 775 demandes de kosovares, il y a eu 55 reconnaissances, 2 protections subsidiaires et 179 non prise en considération. En ce qui concerne les Albanais, ces chiffres sont respectivement de 1096, 123, 3 et 126. Pour les Serbes, respectivement de 552, 28, 1, et 149. Il faut noter que ces chiffres de reconnaissance ne tiennent pas compte des décisions d’octroi de la protection au niveau du CCE.  Cependant, il semblerait que le nombre de non prise en considération sur les trois premiers mois de 2013 soit en augmentation…

[13] G/A.205.613/XI-19103, avis écrit.

[14] Conseil d’Etat français, 26 mars 2012, requêtes n° 349174, 149356, 349357, 349653, 3501189, RDE, n° 167, 2012, p. 29.

[15] CE, n° 223.472, 14 mai 2013.

[16] L’arrêté royal du 7 mai 2013 portant exécution de l'article 57/6/1, alinéa 4, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, établissant la liste des pays d'origine sûrs, MB, 15 mai 2013. Voyez le communiqué de presse des ONG : http://www.cire.be/thematiques/asile-et-protection/842-communique-de-presse-22-mai-2013-le-gouvernement-confirme-la-liste-des-pays-surs-mauvaise-pratique-et-politique-hypocrite