La désactivation de la présomption de paternité du mari lorsque les époux sont dans l’attente de se rejoindre : une double sanction ?

Lorsque les membres d’un couple marié résident dans des pays distincts, l’un étant dans l’attente d’être autorisé à rejoindre son conjoint en Belgique, et que ces personnes se préparent à accueillir un enfant, elles peuvent être amenées à faire face à une situation aporique, née d’une interprétation extensive d’un mécanisme prévu par le législateur belge qui atténue la portée de la présomption de paternité du mari.

Les contours de ce mécanisme sont définis à l’article 316bis du Code civil, lequel est destiné à limiter le nombre de litiges artificiels nés à la suite d’une séparation de fait[1]. Cette disposition prévoit notamment que « sauf déclaration conjointe des époux au moment de la naissance, la présomption de paternité (…) n’est pas applicable : (…) 2° lorsque l’enfant est né plus de 300 jours après la date d’inscription des époux à des adresses différentes, selon le registre de la population, le registre des étrangers ou le registre d’attente, pour autant qu’ils n’aient pas été réinscrits à la même adresse par la suite ».

En quoi ce texte érige-t-il un obstacle à l’établissement d’une filiation paternelle à caractère international ? Prenons l’exemple d’un ressortissant belge résidant en Belgique et marié avec une Egyptienne résidant en Egypte. Le couple attend de pouvoir être réuni en Belgique, et espère encore une décision concernant la demande de regroupement familial. Il se peut également que l’épouse égyptienne n’intègre pas toutes les conditions exigées par les autorités belges pour le regroupement familial, éventuellement celle fondée sur les ressources suffisantes dont doit disposer le regroupant. L’intention de ce couple est donc bien de vivre ensemble, mais les contraintes administratives en matière de séjour les forcent à résider séparément, du moins pour un temps. Lorsque la mère accouche en Egypte et que son mari veut faire valoir le lien de filiation qui l’unit à son enfant par le jeu de la présomption de paternité, peut-il se voir opposer l’application de l’article 316bis du Code civil si le couple n’a pas encore eu la possibilité de cohabiter effectivement ?

A suivre la position du Ministère des Affaires étrangères dont les postes diplomatiques belges se font l’écho, l’on répondrait par l’affirmative : le couple réside séparément depuis 300 jours ou plus puisqu’il n’a jamais cohabité effectivement, la présomption de paternité du mari ne trouve donc pas à s’appliquer. Selon la diplomatie belge, le problème est toutefois d’une importance bénigne : si la présomption de paternité du mari doit être écartée dans un tel cas, l’auteur belge peut tout de même reconnaître son enfant auprès de l’administration communale.

En pratique, toutefois, cela n’est pas si simple. Pour reconnaître son enfant, monsieur doit présenter le consentement écrit de la mère. Certaines communes ne connaissent pas cette pratique qui consiste, pour la personne à l’égard de laquelle la filiation est déjà établie, à formuler son consentement à la reconnaissance de paternité dans un acte authentique dressé par un officier de l’état civil ou un notaire, le cas échéant,  traduit et légalisé[2]. Elles refusent donc dans un premier temps d’établir un tel acte. La procédure peut en outre tirer en longueur, compte tenu de l’extranéité de la situation familiale : l’octroi et la transmission des documents d’un pays à l’autre, les traductions nécessaires pour les officiers instrumentants de chaque Etat, les procédures de légalisation sont autant de démarches qui retarderont nécessairement le moment de la reconnaissance de paternité. Or, outre les difficultés d’ordre affectif qui naissent de la séparation prolongée du père et de l’enfant, une reconnaissance de paternité tardive peut avoir des conséquences particulièrement lourdes sur l’attribution de la nationalité belge de l’enfant. L’article 8, §1er, 2°, b) du Code de la nationalité prévoit en effet que l’enfant né à l’étranger d’un auteur belge né à l’étranger doit avoir fait la déclaration réclamant la nationalité belge pour ce dernier dans les cinq ans à dater de la naissance.

Des dépassements d’un tel délai suite à une reconnaissance de paternité tardive, conséquence des contraintes administratives trop lourdes ou d’une méconnaissance des rouages complexes des procédures en vigueur, ne sont pas rares. Plusieurs cas nous ont en effet été rapportés.

Le problème est-il pour autant insurmontable ? A notre sens, tel n’est pas le cas. La position du Ministère des affaires étrangères ne fait d’ailleurs pas l’unanimité, loin s’en faut. Le service Nationalité du SPF Justice a  récemment émis un avis qui va dans le sens opposé des Affaires Etrangères. Le service Nationalité se fonde en effet sur la circulaire du 7 mai 2007 relative à la loi du 1er juillet 2006 modifiant les dispositions du Code civil relatives à l’établissement de la filiation qui relève que « la présomption de paternité du mari telle que visée à l’article 315 du Code civil est maintenue quant à son principe. Seules ses conditions d’application ont été modifiées afin de répondre à l’évolution des circonstances sociales, entre autres l’augmentation considérable du nombre de séparation et de divorces ». Selon le service Nationalité, « il s’ensuit que les exceptions énumérées à l’article 316bis du Code civil doivent recevoir une interprétation particulièrement restrictive s’agissant au premier chef de prévenir la stabilité des familles»[3] .

Toujours selon le SPF Justice, l’article 316bis n’a pas comme objectif de pénaliser les couples mariés en les privant de façon indue de la présomption de paternité mais bien de faciliter la désactivation de la présomption dans les cas où des circonstances telles que la séparation juridique ou de fait rendent vraisemblable le fait que le père n’est pas le mari.

Toujours est-il qu’à la lecture des travaux préparatoires, la désactivation de la présomption de paternité prévue à l’article 316bis du Code civil n’a certainement pas été dictée par le souhait du législateur de la voir appliquée aux couples mariés « empêché de résidence commune » parce que l’un des conjoints ne dispose pas du droit de séjour en Belgique. La seule motivation des parlementaires à l’origine des propositions de loi en la matière était en effet de réduire sensiblement le nombre d’actions en contestation de paternité et d’adapter le principe de la présomption de paternité aux nouvelles réalités sociales en réduisant son champ d’application[4]. La circulaire précitée utilise par ailleurs le terme « désunion ». Selon le professeur Senaeve, « een feitelijke scheiding die niet veruitwendigd wordt doet de vaderschapsregel niet uitschakelen, ongeacht de duur ervan bij de geboorte »[5].

Dans le cas qui nous occupe, l’intention des parents n’est pas de résider séparément : le couple s’est marié et n’a pas pu cohabiter officiellement, faute d’une autorisation pour l’un des conjoints de s’établir dans le pays où réside effectivement l’autre.

Le désaccord entre les deux administrations est en outre interpellant du point de vue de la sécurité juridique. En effet, on constate dans la pratique que lorsque la filiation est établie par application de la présomption de paternité du mari, alors que le couple se trouve dans une situation similaire à celle évoquée plus haut et que la nationalité belge a été attribuée à l’enfant résidant à l’étranger sur base d’un avis favorable du ministère de la Justice, les postes diplomatiques belges, sur injonction de leur ministre de tutelle, refusent de délivrer le passeport belge à cet enfant. Une telle prise de position a pour conséquence de se mettre doublement en porte-à-faux de l’officier de l’état civil qui a dressé la déclaration d’attribution de la nationalité belge pour l’enfant et du ministère de la Justice qui, en sa qualité de gardien de la nationalité belge, a autorisé l’attribution de cette nationalité.

Une harmonisation des pratiques s’imposent donc. Quant à affirmer que celles-ci doivent aller dans le sens d’une application de la présomption de paternité du mari lorsque les époux ne peuvent résider ensemble, faute d’un élément qui leur est involontaire, il n’y a qu’un pas que l’on franchira aisément. Il est en effet difficilement concevable que, d’une part, l’autorité belge refuse d’accorder le droit de séjour à l’un des époux et empêche de la sorte toute cohabitation  et, que d’autre part, cette même autorité, par l’entremise d’une autre administration, tire argument de cette absence fortuite de vie commune pour désactiver la présomption de paternité du mari.



[1] Circulaire relative à la loi du 1er juillet 2006 modifiant des dispositions du Code civil relative à l’établissement de la filiation et aux effets de celle-ci.

[2] Idem.

[3] La position du service Nationalité du SPF Justice transmise par voie d’avis n’a pas été rendue publique. L’autorisation de citer son raisonnement a toutefois été donnée au point d’appui DIP de l’ADDE.

[4] Doc. Législatif n° 3-1402/7, 10 mai 2006, p. 11.

[5] “Une  séparation de fait qui n’a pas été extériorisée (…) ne permet pas d’écarter la présomption de paternité, peu importe sa durée depuis la naissance (traduction libre)» P. Senaeve, Compendium van het personen-en familierecht, 2011, Leuven/Den Haag, ACCO, p.253-254.

 

Bruno LANGHENDRIES, juriste ADDE asbl