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Réflexions sur l’accompagnement sociojuridique des demandeurs d’asile

En inscrivant un droit à l’accueil dans la réglementation, le législateur européen visait à ce que les personnes qui demandent une protection « bénéficient de normes minimales pour l'accueil qui devraient, en principe, suffire à leur garantir un niveau de vie digne et des conditions de vie comparables dans tous les États membres »[1]. Plus concrètement, sans préjudice de dispositions internes plus favorables, la directive accueil garantit aux demandeurs d’asile une aide matérielle comprenant l’hébergement, l’aide alimentaire, vestimentaire et médicale, mais également une aide juridique et sociale.

Au cours des dernières années, l’accompagnement des demandeurs d’asile a été un sujet de plus en plus préoccupant dans l’actualité des droits des étrangers. Ce fut notamment le cas lors de la crise de l’accueil[2] qu’a traversé Fedasil et qui a conduit à une modification de la loi accueil allant dans le sens de la limitation de ce droit[3]. Cette crise a occasionné plusieurs difficultés auprès des demandeurs d’asile et nous a amené à nous questionner sur l’effectivité et l’efficacité de l’accompagnement actuel de ce public[4].

Si la crise qu’a connu le dispositif de l’accueil concerne essentiellement l’hébergement et l’aide matérielle, nous pouvons nous demander ce qu’il en est au sujet de l’aide juridique et de l’accompagnement social. Comment ces droits primordiaux pour les demandeurs d’asile  peuvent-ils aujourd’hui être encore assurés? En tant que praticiens, comment pouvons-nous les améliorer pour les rendre plus efficaces?

L’aide juridique

Pour rappel, l’aide juridique de première ligne se présente sous forme d’informations et de conseils juridiques pouvant être prodigués par des avocats, juristes, assistants sociaux et autres acteurs intervenant auprès des demandeurs d’asile. Ensuite, l’aide juridique de deuxième ligne consiste dans l’assistance juridique plus circonstanciée et la représentation par un avocat. Si le droit actuellement garanti à l’aide juridique de première et de deuxième ligne est théoriquement large[5], en pratique, les demandeurs n'en sont pas toujours suffisamment informés et n’y ont pas encore accès assez facilement aujourd’hui. Il n’est en effet pas rare qu’un demandeur d’asile entame sa procédure d’asile seul en n’ayant pas reçu d’informations suffisantes au préalable, et sans avoir compris la complexité de la procédure.  Il s’agit tout particulièrement de l’importance de leurs déclarations lors de l’interview à l’Office des Etrangers et au CGRA. Or, l’interview est une étape capitale pour le demandeur et aura un impact significatif sur le bon déroulement de toute la procédure d’asile. Il est donc important qu’il soit accordé une attention particulière à ces étapes dans laquelle différents acteurs peuvent accompagner les demandeurs d’asile.

L’accompagnement sociojuridique

Le travail social s’inscrivant dans le contexte d’une demande d’asile peut prendre différentes formes et n’est pas défini limitativement dans la loi. En quoi consiste actuellement cet accompagnement social? En quoi est-il bénéfique pour le demandeur ? Qui peut intervenir pour l’octroyer et comment cette aide peut-elle s’inscrire dans l’aide juridique de seconde ligne ?

Dans la loi accueil la loi « accueil », l’accompagnement social consiste notamment à :

  • Procurer aux demandeurs des informations relatives à l’accès et aux modalités de l’aide matérielle, sur la vie quotidienne en centre d’accueil et sur les activités auxquelles les personnes peuvent avoir droit ;
  • Informer les demandeurs des étapes de la procédure d’asile, des recours existant ainsi que des conséquences des différents actes qu’ils posent dans le cadre de leur demande[6] ;
  • Fournir une guidance sociale, des conseils ainsi que la documentation nécessaire afin d’aider les demandeurs à surmonter les situations critiques dans lesquelles ils se trouvent.

Dans le cadre de cet accompagnement, les travailleurs sociaux ont pour mission d’évaluer les besoins des demandeurs d’asile et d’être particulièrement attentifs aux besoins des personnes présentant une fragilité particulière. Si nécessaire, ils peuvent solliciter pour ceux-ci un lieu d’hébergement adapté et les orienter vers des services externes pour un accompagnement psychologique.

Les assistants sociaux interviennent à un moment privilégié de la procédure d’asile où ils peuvent, en outre procurer les informations juridiques de première ligne, et, dans une volonté d’accompagner efficacement les personnes et de leur donner un maximum de moyens pour l’aboutissement de leur demande, procéder à un entretien approfondi de leur parcours et de leur situation de vie. En effet, en matière d’asile, le travail sur le récit est une étape primordiale car le récit reste l’outil qui permettra aux instances d’asile de déterminer s’il existe ou non un risque de persécution en cas de retour. Dès lors, la formulation du récit peut être travaillée avec un assistant social. Actuellement, peu de demandeurs d’asile ont l’occasion de rencontrer un travailleur social pour effectuer ce travail de mise en mot et éventuellement de rédaction, qui nécessite de prendre le temps d’écouter la personne. Un temps qui lui permet de se réapproprier son histoire, les éléments clés de celle-ci, et de réfléchir à l’ordre des évènements. Par ailleurs, sachant que les instances d’asile sont très exigeantes quant à la cohérence et à la crédibilité du récit, pouvoir aider les demandeurs à faire face aux problèmes de formulation quant à leur crainte et à leur vécu nous semble important. Ce travail de transcription s’effectue déjà dans certaines associations[7], ce qui, outre le fait de permettre aux demandeurs de se raconter devant une personne neutre, permet à l’avocat d’avoir une vision détaillée du parcours de son client et d’aller directement à l’essentiel lorsqu’il le reçoit. Ce travail d’écoute et de restitution du récit d’asile nécessite souvent plusieurs heures d’entretien avec les personnes et représente un temps dont les avocats ne disposent pas toujours. Par ailleurs, lors de la relation d’un récit d’asile à l’Office des étrangers ou au CGRA, des différences culturelles peuvent rendre difficile la clarté de l’histoire de la personne, et ne sont pas toujours prises en considération par les interviewers. Il est donc important de pouvoir aider le demandeur d’asile à formuler son récit de façon compréhensible pour un interviewer ne partageant pas la même culture que lui. Il s’agit ici d’une bonne pratique à relever et à encourager auprès des différents intervenants accompagnant les demandeurs d’asile. Enfin, les assistants sociaux, peuvent également aider les personnes dans leur recherche d’éléments de preuve dans certains cas, en expliquant notamment la nature des éléments pouvant être apportés.

L’aide psychologique

Une autre dimension sur laquelle les travailleurs sociaux doivent avoir leur attention portée, est la fragilité psychologique que peuvent présenter certaines personnes, souvent liée aux circonstances de leur exil. Certains traumatismes peuvent rendre particulièrement difficile la restitution de la mémoire et donc les entretiens et les échanges avec les travailleurs sociaux, les avocats et l’administration. Il est important que les avocats et les assistants sociaux puissent être attentifs à cette dimension et qu’ils puissent demander l’intervention de spécialistes au besoin[8].

Conclusion : l’importance des synergies entre les différents intervenants

Dans un contexte où l’accès à la protection est rendu toujours plus difficile et un accueil adapté aléatoire, il nous a semblé important de rappeler qu’il existe des stratégies d’aide au sein du monde associatif permettant de soutenir les demandeurs d’asile. Selon notre expérience, un  travail en co-production entre les travailleurs sociaux, les avocats et les demandeurs d’asile est bénéfique. Ces derniers ne sont pas toujours informés de cette possibilité d’être encadré par plusieurs intervenants. Ainsi nous préconisons cette approche pluridisciplinaire de l’accompagnement des demandeurs d’asile et encourageons la création de réseaux et de véritables synergies entre les professionnels.

Magalie Nsimba, assistante sociale ADDE

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[1] Directive 2003/9/CE du conseil du 27 janviers 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres, considérant 7. Ci-après, « directive accueil ».

[2] Sur la question, voyez Migrations magazine, n°4, Accueil des demandeurs d’asile. Chronique d’une crise annoncée, printemps 2011.

[3] Ainsi, la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers, a été modifiée par les lois du 30 décembre 2009, 28 avril 2010, 19 janvier 2012, 22 avril 2012.

[4] Voyez RDE n° 161, spécial 2010, Recherche –action sur la mise en œuvre de l’aide juridique aux demandeurs d’asile, projet cofinancé par le Fonds européen des réfugiés.

[5] Sur les réformes attendues en matière d’aide juridique, voyez notamment Gaëlle Aussems, « Ceci n’est pas une aide juridique… », Newsletter ADDE asbl mars 2013.
         Voyez également l’interview de Jean-Marc Picard dans la tribune Flash du 15 mars 2013 d’avocats.be, http://us2.campaign-archive1.com/?u=d552fd66716b81b8fb8f922cc&id=3fe52aa84d&e=3e77676def

[6] Loi sur l’accueil, art 31.

[7] ADDE, VWV, APD, etc.

[8]  Voir la recherche d’Ulysse, Asile et santé mentale, RDE N°155.